Faits saillants :
Yahya Al-Matarr Jobe : Un visionnaire du bien-être africain à l'ère de la mondialisation
25/04/25
par :
Pamela Annick N'guessan
Réflexions profondes sur la santé, la culture et l’avenir des jeunes gambiens et africains à travers le prisme du bien-être durable

Chapeau :
Dans un contexte mondial en pleine mutation, Yahya Al-Matarr Jobe, ancien Délégué Permanent Adjoint de la Gambie auprès de l’UNESCO et ardent défenseur des valeurs culturelles africaines, nous livre ses perspectives éclairées sur le bien-être. Son engagement de longue date pour l’intégration des dimensions culturelles et spirituelles dans les politiques publiques met en lumière un autre visage de la santé : celui où l’équilibre entre l’esprit, le corps et la communauté prend toute son importance. Un entretien exclusif où il nous invite à repenser le bien-être au-delà des normes conventionnelles et à reconnaître la force des traditions africaines dans un monde en constante évolution.
1. En tant qu'ancien Délégué Permanent Adjoint de la Gambie auprès de l'UNESCO, comment percevez-vous aujourd'hui la question du bien-être sous les angles culturel, éducatif et sociétal ?
Le bien-être est un concept global qui englobe non seulement la santé physique, mais aussi la santé mentale, spirituelle, l'identité culturelle, l'éducation et un sentiment d'appartenance.
Mon expérience à l'UNESCO m'a appris que le bien-être doit être ancré dans l'éducation spirituelle et culturelle. Dans des sociétés comme celle de la Gambie, où la communauté, la religion et la tradition jouent un rôle central, il est important de promouvoir des politiques affirmant la connaissance et la conscience culturelles, d'investir dans l'éducation et de favoriser la cohésion sociale. Ce sont des bases importantes pour un bien-être durable.
2. Le monde traverse actuellement une période de bouleversements profonds — environnementaux, économiques et liés à l'identité. Selon vous, quels leviers les pays comme la Gambie peuvent-ils activer pour renforcer la résilience de leurs populations, en particulier les jeunes ?
Investir dans l'éducation technique et professionnelle ainsi que dans l'entrepreneuriat est essentiel. En tant qu'ancien coordinateur de l'UNESCO-ASPnet et des programmes d'échanges culturels axés sur la jeunesse, je pense que doter les jeunes de compétences professionnelles du 21e siècle tout en les ancrant dans leurs racines culturelles peut les rendre à la fois compétitifs au niveau mondial et pertinents localement. La résilience provient aussi de la gouvernance, qui permet aux jeunes de participer à la construction de leur avenir.
3. Bien que de petite taille, la Gambie possède un riche tissu intellectuel et culturel. Comment cela pourrait-il être mieux reflété dans les politiques publiques liées à la santé, à l'éducation et à l'inclusion sociale ?
En tant que personne ayant travaillé dans diverses commissions nationales sur les sciences, l'éducation, le sport et la culture, j'ai plaidé et je continue à plaider pour l'intégration des connaissances et des valeurs traditionnelles dans les politiques publiques, ainsi que pour l'intégration des pratiques culturelles dynamiques et des traditions communautaires de santé dans les stratégies nationales. Cela favorise la propriété, la confiance et la pertinence des programmes de développement.
4. Vous avez travaillé en Europe tout en représentant la voix de la Gambie et de l'Afrique. Quelle est votre vision de l'évolution des relations entre les diasporas africaines et leurs pays d'origine ? Sont-elles devenues plus stratégiques ?
L'engagement de la diaspora africaine a évolué, passant des envois de fonds à une collaboration stratégique. Lors de mon passage à Paris, en représentant la Gambie à l'UNESCO, j'ai vu comment les diasporas deviennent de plus en plus des ponts intellectuels et culturels. Elles apportent innovation, plaidoyer et investissements dans leur pays d'origine. Par exemple, le projet Migration et Développement Durable en Gambie (MSDG), lancé en 2017, a renforcé les rôles de la diaspora gambienne dans le développement national. Parmi les principales réalisations figurent l'élaboration de la Stratégie de la Diaspora Gambienne, qui est intégrée dans le nouveau Plan National de Développement axé sur la relance (RF-NDP 2023-2027). Les efforts du projet MSDG ont également accéléré la création de la Direction de la Diaspora et des Migrations au sein du Ministère des Affaires Étrangères. Il est temps de développer des plateformes plus structurées pour exploiter leurs talents et réseaux.
5. Le bien-être va bien au-delà de la santé physique. Comment les aspects mentaux, émotionnels et spirituels peuvent-ils être intégrés dans les cadres politiques africains, alors que de nombreuses cultures traditionnelles les défendent déjà ?
L'Afrique détient déjà le plan directeur — nos systèmes traditionnels valorisent l'équilibre entre l'esprit, le corps et l'âme. Le défi consiste à intégrer ces valeurs dans les politiques de santé et d'éducation formelles. Grâce à mon travail sur les langues indigènes et les jeux et sports traditionnels à l'UNESCO, j'ai appris que les politiques doivent respecter et formaliser le rôle des guérisseurs traditionnels, des rites culturels et des systèmes de soutien communautaire.
6. Aujourd'hui, les jeunes Gambiens font face à de multiples défis : migration, chômage et perte d'identité. Quel conseil leur donneriez-vous pour les aider à construire un avenir durable et porteur d'espoir ?
Ayez foi, connaissez vos racines, développez vos compétences (en particulier techniques, innovantes et industrielles), commencez dès le plus jeune âge une formation technique, professionnelle et entrepreneuriale pour les besoins en main-d'œuvre et croyez en votre potentiel. En tant que personne ayant commencé comme enseignant en Gambie rurale et ayant évolué vers la diplomatie mondiale, je peux attester que l'humilité, la discipline et un engagement envers l'apprentissage peuvent transformer des vies. Je conseille aux jeunes Gambiens d'embrasser à la fois les compétences et les connaissances traditionnelles indigènes et innovantes, et de voir les défis comme des opportunités de réinvention.
7. La Gambie est souvent associée à son passé politique ou au tourisme. Quels aspects moins connus du pays souhaitez-vous faire connaître au monde ?
Nous avons des histoires au-delà des rivières et des plages. La Gambie est un centre de connaissances et de technologies indigènes, de diversité écologique et de résilience culturelle. Peu de gens connaissent nos réserves de biosphère, nos histoires orales vibrantes ou le rôle incroyable des sports et jeux traditionnels dans la cohésion communautaire. Ce sont des domaines que j'ai personnellement défendus tant au niveau national qu'international. Les jeunes ont un énorme potentiel et réussiraient sûrement s'ils avaient les opportunités et les infrastructures nécessaires.
8. Selon vous, comment l'événement "Afrique Perspectives : Santé et Bien-être" pourrait-il devenir une plateforme de transformation et de connexion entre les diasporas et les décideurs africains ?
En créant un espace pour des récits partagés, des dialogues politiques et des partenariats intersectoriels. Ayant servi de pont entre l'UNESCO et les institutions africaines, je vois une grande valeur dans les plateformes qui unissent la culture, les technologies indigènes, la recherche et les politiques. Cet événement pourrait amplifier les voix de la diaspora, mettre en valeur les meilleures pratiques et catalyser des solutions collaboratives pour l'agenda du bien-être de l'Afrique.
9. Quelle pratique personnelle (rituel, livre, habitude) vous aide à maintenir votre propre bien-être au quotidien ?
Réflexion quotidienne et engagement communautaire. Je reste ancré en me connectant à mon héritage — à travers la langue, la culture et la nature. De plus, je m'inspire de lectures spirituelles et philosophiques et maintiens une routine disciplinée basée sur la pleine conscience et le service.
10. Enfin, si vous aviez un message pour la diaspora gambienne à travers le monde, quel serait-il ?
Restez connectés, restez engagés. Vous n'êtes pas seulement des ambassadeurs de la Gambie — vous êtes aussi les co-auteurs de son avenir ainsi que nos partenaires potentiels en matière de socio-économie et de développement. Laissez vos expériences alimenter le changement chez nous de manière positive. Retournez non seulement avec de l'argent, mais avec des idées constructives, de bonnes valeurs et un objectif fort. La Gambie a plus que jamais besoin de votre vision et de vos bonnes contributions.
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Je vous remercie pour votre confiance continue et votre collégialité, et je vous prie d’accepter l’expression de ma gratitude sincère.
Yahya Al-Matarr JOBE
(La Gambie)
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