Tracy Amofa Diatuo : Valoriser l’Alimentation Traditionnelle Africaine pour un Bien-Être Équilibré

Les habitudes alimentaires sont au cœur de notre santé, et elles reflètent aussi notre culture et notre identité. Dans un monde moderne où le rythme de vie accéléré nous pousse souvent vers des options alimentaires rapides et parfois moins saines, comment continuer de valoriser notre patrimoine culinaire africain tout en maintenant un équilibre nutritionnel ? Tracy Amofa-Diatuo, diététicienne-nutritionniste et consultante chef de projets R&D dans l’agroalimentaire, nous éclaire sur les défis et les solutions pour concilier tradition et bien-être.

1. Inspiration et Parcours

Question : Pourriez-vous partager ce qui vous a motivée à choisir la nutrition et particulièrement l’intérêt pour les cuisines africaines et leur impact sur le bien-être ?

Réponse : J’ai découvert la profession de diététicienne-nutritionniste tout simplement après un bilan de compétences au lycée. Je commençais à bien aimer cuisiner à ce moment-là, et l’envie d’aider les personnes d’une certaine manière, ainsi que le côté scientifique, qui se rapprochait de la chimie que j’aimais bien au lycée, ont été une évidence pour moi. Ensuite, de par mes expériences professionnelles, mes voyages, mais aussi l’acceptation de mon identité multiculturelle afropéenne (née en France, originaire du Ghana, et ayant vécu au Royaume-Uni pendant presque 10 ans), j’ai remarqué l’importance, le besoin et la nécessité d’intégrer l’héritage alimentaire culturel pour le bien-être de l’individu. En effet, c’est son identité, et la retirer serait au détriment de la personne dans sa démarche de bien-être et de santé.

2. La Vision d’une Alimentation Équilibrée

Question : Comment définissez-vous une alimentation équilibrée dans un contexte africain ? Quels sont, selon vous, les piliers d'un bon équilibre alimentaire adapté à la culture africaine ?

Réponse : Pour moi, quelle que soit la culture, l’équilibre alimentaire reste le même. Il est important de manger équilibré, mais aussi varié, en veillant à un apport suffisant en macronutriments (protéines, glucides et lipides) et en micronutriments (vitamines, minéraux et antioxydants). Il est également essentiel de privilégier les fibres et de limiter la consommation de produits riches en sucre, sel et matières grasses.

3. Défis Modernes vs. Traditions

Question : Quelles sont les principales difficultés rencontrées par la diaspora (ou les Africains) aujourd’hui pour maintenir un régime alimentaire traditionnel dans un cadre de vie moderne ?

Réponse : Les difficultés rencontrées, notamment par certains de mes patients, concernent souvent le temps de préparation de certains plats, qui est généralement long, ainsi que la difficulté à réadapter ces derniers de manière plus équilibrée. S’ajoutent à cela les notions de quantités et de portions, ainsi qu’un manque de connaissance sur les bienfaits de certains aliments culturels.

4. Impacts de l’Éloignement sur les Habitudes Alimentaires

Question : Pour la diaspora, comment l’éloignement du pays et la disponibilité limitée des produits locaux impactent-ils l'alimentation ? Quels conseils donneriez-vous pour surmonter ces défis ?

Réponse : Si on parle de diaspora africaine en Occident, il faut distinguer deux catégories : ceux qui ont vécu en Afrique et qui sont venus en Occident par la suite, et ceux qui sont nés en Occident. Dans le premier cas, la difficulté à acquérir des produits familiers engendre une perte de repères alimentaires et une adaptation à une alimentation différente et déséquilibrée.

Si vous vivez dans une ville où il y a plusieurs épiceries africaines, vous avez de la chance. Par contre, si vous êtes dans un environnement où la disponibilité des produits est limitée, il y a possibilité d’en commander en ligne. Sinon, pensez à des alternatives pour créer des recettes similaires.

5. Solutions Pratiques et Accessibles

Question : Quelles astuces simples et accessibles pouvez-vous recommander pour intégrer des pratiques alimentaires traditionnelles dans la vie quotidienne d’une personne active ?

Réponse : Voici 5 conseils pour conserver des pratiques alimentaires traditionnelles :

1. Comprendre ce qu’est un équilibre alimentaire de manière générale pour bien structurer ses repas.

2. Identifier dans quelle catégorie alimentaire se trouve un aliment traditionnel pour connaître ses bienfaits et respecter un équilibre alimentaire. Par exemple, le gombo est une bonne source de fer, de magnésium, de calcium, de vitamine C et de vitamines B, et il réduit la glycémie.

3. Adopter une méthode de cuisson ou modifier légèrement une recette pour qu’elle soit plus équilibrée sans altérer significativement le goût.

4. Manger à portions raisonnables.

5. Écouter sa satiété. Prendre le temps de manger pour consommer juste ce qu’il faut.

6. Cuisine Traditionnelle et Innovation

Question : Comment peut-on moderniser les recettes traditionnelles africaines pour les rendre plus saines sans sacrifier leur authenticité ? Auriez-vous un exemple de recette revisitée ?

Réponse : Une recette revisitée pourrait être le riz jollof avec moins d’huile, sans bouillon cube, et préparé avec du riz complet ou un mélange de riz complet et de riz blanc. Ce n’est pas vraiment une recette, mais j’aime également préparer les bananes plantains au four avec un filet d’huile.

7. Rôle de l’Éducation et de la Sensibilisation

Question : Pensez-vous que l'éducation nutritionnelle a un rôle à jouer dans la préservation des habitudes alimentaires traditionnelles ? Quels sont les axes prioritaires selon vous ?

Réponse : Absolument ! Pour faire de meilleurs choix alimentaires, il est essentiel de bénéficier d’une éducation nutritionnelle, afin d’intégrer des habitudes alimentaires plus saines et intuitives. C’est un travail de déconstruction de certaines idées et habitudes, et cela prend du temps.

Se renseigner est également une bonne démarche. À notre époque, il y a beaucoup d’informations disponibles sur internet, dans des articles scientifiques ou même dans des livres. Nos parents, grands-parents, ou autres membres de la famille sont aussi des sources précieuses de savoir. En discutant avec eux, j’ai appris beaucoup sur certains aliments de nos cultures, tout en partageant mes propres découvertes avec eux.

Conclusion de l’Interview

Question : Pour finir, si vous aviez un message à partager avec nos lecteurs, quel serait-il ?

Réponse : Ce que j’aime dire à mes patients, c’est que vous n’avez pas besoin de retirer votre héritage culturel alimentaire pour adopter de meilleures habitudes et être en meilleure santé. C’est même essentiel de garder cet aspect pour une prise en charge optimale, car il fait partie de vous, de votre identité. Il suffit simplement de savoir comment l’intégrer de manière plus saine et équilibrée.