Faits saillants :
Nathanael Becker : “Il est temps de réconcilier communication, éthique et santé mentale”
25/04/25
par :
Pamela Annick N'guessan
Fondateur de l’agence EIKOS, Nathanael Becker interroge le rôle de la communication dans un monde traversé par les crises. Une vision lucide et engagée, à la croisée du branding, de la conscience sociale et du bien-être collectif.

Chapeau éditorial
Afrique Perspectives est une plateforme média dédiée aux enjeux de santé, de bien-être et de justice sociale au sein des diasporas africaines et au-delà. Nous y faisons dialoguer les voix de celles et ceux qui, par leur métier, leur engagement ou leur vision, éclairent les grandes transitions de notre époque.
Dans cet entretien, Nathanael Becker, expert en stratégie de communication et fondateur de l’agence EIKOS, pose un regard sans détour sur les dérives de l’industrie publicitaire, l’impact des outils numériques sur la santé mentale notamment chez les plus jeunes , et la nécessité d’un nouveau cadre éthique pour les professionnels de l’image et du message.
Un échange qui donne matière à penser, et qui réaffirme la place de l’humain dans les récits que nous construisons.
1. En tant que directeur d’agence et expert en stratégie de communication, comment perçois-tu aujourd’hui le rôle de la communication dans les enjeux de santé et de bien-être collectif ?
La communication est au service des marques et des entreprises, ce qui lui confère une responsabilité indirecte mais importante, notamment sur la santé mentale et physique.
Je pense notamment à certaines publicités diffusées récemment, ciblant les adolescents et les incitant à s’équiper de téléphones « sécurisés ». Ces campagnes peuvent, parfois, minimiser ou tourner en dérision les préoccupations légitimes des parents.
Elles créent une dynamique où la marque devient un tiers de confiance entre jeunes et adultes, tout en promouvant l’usage d’outils numériques connus pour leur fort potentiel addictif. Ces usages peuvent impacter les relations sociales, la concentration ou encore la qualité du sommeil.
2. La crise économique, les fractures numériques, les inégalités d’accès à l’information : comment les marques et les agences peuvent-elles s’engager de manière sincère, et non opportuniste ?
Je crois que, malheureusement, la crise économique actuelle a un impact très fort sur les agences de communication. Beaucoup se retrouvent contraintes de baisser leurs exigences morales ou éthiques pour remporter des budgets, sans toujours avoir le luxe de choisir leurs clients.
Je tiens à souligner que mon agence n’est pas concernée par cette situation, car nous travaillons essentiellement dans la communication B to B, à destination des professionnels.
En revanche, les agences généralistes, notamment celles qui s’adressent au grand public via des campagnes digitales, rencontrent de réelles difficultés pour sélectionner leurs annonceurs avec autant de liberté.
3. On parle souvent de “branding de soi” aujourd’hui. Quelles limites ou opportunités vois-tu à cette tendance, notamment pour les jeunes générations issues des diasporas ?
Les outils comme le smartphone, avec leur capacité à capter des images en temps réel, ont contribué à créer un véritable culte de la personnalité, en particulier chez les jeunes générations.
Ce phénomène de « branding de soi » devient une tendance dominante, qui selon moi est problématique. Elle valorise l’apparence, l’image, au détriment du fond, de la sincérité et de la réalité des actes. Cela renforce une logique de superficialité, parfois au prix du bien-être personnel.
4. EIKOS se définit comme une agence créative à impact. Peux-tu nous partager un projet marquant où bien-être, transmission et engagement se sont rencontrés ?
Nous réalisons actuellement une série de films pour valoriser le rôle d’une communauté de communes rassemblant 54 villes.
L’objectif est de faire prendre conscience de l’importance de mutualiser les moyens pour faire face à des enjeux locaux comme les déserts médicaux, l’isolement des personnes âgées, ou encore la fracture territoriale.
Les personnes que nous avons rencontrées dans le cadre de ce projet sont passionnantes. Le message est authentique, généreux, ancré dans la réalité du terrain.
C’est aussi un vrai plaisir de sortir nos caméras de l’Île-de-France pour aller filmer en Occitanie, découvrir de nouveaux visages et capter des images d’une grande richesse humaine.
5. Que faudrait-il, selon toi, pour faire émerger une nouvelle génération de professionnels de la communication engagée et alignée avec les enjeux de demain ?
Face aux transformations profondes que traversent nos métiers , qu’elles soient économiques, sanitaires ou technologiques — il me semblerait pertinent de créer une fédération ou un think tank dédié.
Ce collectif aurait pour mission d’encadrer les pratiques, de réfléchir à l’usage des outils, et surtout de replacer l’éthique et la prise de recul au cœur des métiers de la communication et du marketing.
6. Si tu devais imaginer une campagne de sensibilisation autour du bien-être des diasporas, quels éléments clés y intégrerais-tu ?
Il me semble essentiel de donner la parole aux parties prenantes, pour sensibiliser à ce que vivent les personnes sur le terrain, dans leur quotidien.
Je recommande une série de portraits ou de reportages en immersion, dans une logique « vis ma vie », pour montrer ces personnes en interaction avec des aidants, mais aussi leur permettre de témoigner.
Cela permettrait de mieux comprendre leurs difficultés, qu’elles soient liées à des chocs culturels, à un changement de cadre de vie, à des difficultés d’intégration ou à des formes de discrimination.
8. Quelle place accordes-tu à ton propre bien-être dans ton quotidien de dirigeant et de créatif ? As-tu un rituel ou une habitude essentielle ?
Je m’impose chaque jour une séance de gymnastique de 20 minutes. C’est un rituel qui me permet de préserver ma vivacité mentale, ma fierté personnelle et une tonicité physique qui me donne de l’énergie pour la journée.
Ce moment d’effort envoie un signal positif à mon esprit : il faut se dépasser, prendre soin de soi.
Mon deuxième rituel hebdomadaire est musical : je m’accorde une séance d’écoute complète d’un album, les yeux fermés, pour me laisser complètement transporter par la musique.
Ces rituels, physiques et mentaux, sont essentiels. C’est dans leur régularité que l’on construit un équilibre durable.
7. Quel conseil donnerais-tu à un jeune entrepreneur afrodescendant qui souhaite allier communication et cause sociale ?
Beaucoup trop d’entrepreneurs se lancent dans des projets sans avoir conscience qu’une entreprise repose d’abord sur une base stratégique et économique solide.
Il faut répondre à un besoin réel et prioritaire pour espérer réussir et se différencier d’une concurrence souvent déjà bien établie.
Avant d’investir massivement, il est indispensable d’observer des premiers signes d’intérêt du marché, des débuts de réussite commerciale. Sans cela, les investissements peuvent devenir risqués, voire contre-productifs.
10. Enfin, en une phrase : pourquoi est-ce important de participer à Afrique Perspectives
aujourd’hui ?
L’Europe peine malheureusement à faire preuve d’unité, ce qui limite les perspectives stratégiques, économiques et commerciales.
De nombreuses opportunités se trouvent aujourd’hui ailleurs, notamment en Afrique, où il reste une marge de progression et de développement bien plus visible.
Dans une société comme la nôtre, marquée par la diversité culturelle et d’origine, il me semble crucial que l’on reste attentif aux difficultés des uns et des autres, qu’on se soutienne et qu’on se comprenne.
C’est autour des enjeux de santé, de bien-être et de mixité que l’on peut se rassembler, quelle que soit notre histoire ou notre origine.
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